Profitez-en, après celui là c'est fini

Tarzan au musée des arts premiers

septembre 3rd, 2009 Posted in Cimaises

tarzan_afficheC’est Hugo Chavez qui m’a décidé à aller voir cette exposition. L’impayable président vénézuélien, qui venait de voir son projet de loi pénalisant les «délits médiatiques» repoussé par l’Assemblée, réagissait avec humeur en expliquant dans une déclaration que, dans son pays, il y a des lois et une constitution et que, je cite :

«ceux qui ne veulent pas le reconnaître n’ont qu’à partir vivre dans la jungle avec Tarzan des singes, là où il n’y a ni loi, ni normes, ni règles»1.

Voilà : il a mis le doigt dessus, Tarzan nous parle bel et bien de la liberté.
Si des religieux et des politiques de tous horizons et de tout bord ont régulièrement réclamé et parfois obtenu la censure de Tarzan2, c’est parce que ce personnage est profondément libre : aristocrate britannique de naissance, élevé par des grands singes, il fixe lui-même en permanence son degré de civilisation. Tarzan n’est pas subversif parce qu’il vit nu dans la jungle, il est subversif parce qu’il décide seul la manière dont il vit et ne s’interdit rien, pas même de reprendre le costume guindé du comte de Greystoke, pas même de donner un enfant hors mariage, Korak, à sa compagne Jane Porter3.

Tarzan a créé sa propre morale, une morale fondée sur le respect de la vie et de l’harmonie de la jungle. Dès qu’il en a l’occasion, il fait régner une forme de justice rationelle où la démesure et la cruauté de l’homme sont les crimes les plus graves : Tarzan respecte la faim du fauve mais pas la passion de l’ivoire des chasseurs.

tarzan_animaux

Dans une nouvelle assez étonnante, The God of Tarzan (issu du recueil Jungle tales of Tarzan), l’homme de la jungle s’intéresse au mot «Dieu», qu’il a croisé dans un dictionnaire — on se rappellera que la lecture a une grande importance dans l’histoire de Tarzan. Intrigué par l’absence de définition claire ou de description de Dieu, il part interroger des chefs singes ou des sorciers tribaux pour savoir s’ils sont Dieu eux-mêmes ou s’ils le connaissent… insatisfait par les réponses, il finit par décréter que Dieu doit être le responsable de tout ce qui est bel et bon dans la nature, tout en restant troublé à l’idée qu’il soit aussi le créateur des serpents.
Bref, Tarzan est à ce point libre qu’il s’autorise à définir Dieu.
L’exposition s’intitule Tarzan ! ou Rousseau chez les Waziri4, tout un programme, car la comparaison entre l’«état de nature» du roi de la jungle et celui dont parle le philosophe genevois peuvent sans doute être distingués. Je compte un peu sur la lecture du catalogue pour voir si le parallèle tient debout au delà de l’anecdote et de la caricature.

tarzan_femmes

C’est là le problème de l’exposition d’ailleurs : je compte beaucoup sur la lecture du catalogue (que je n’ai pas encore acheté) car l’exposition en elle-même m’a semblée extrèmement confuse. La scénographie, faite de dessins agrandis de Burne Hogarth, est plutôt séduisante. De loin. Les documents présentés sont parfois beaux, amusants, émouvants : planches originales de Foster, Hogarth, Buscema, Kubert ; Photogrammes extraits des premiers Tarzan muets ; Affiches de cinéma ; livres méconnus. Le fait de faire intervenir tous les médias (bande dessinée, livre, jouet, film, viewmaster) est bienvenu, même s’il manque, sauf erreur, le jeu vidéo et la radio.
Il y a des surprises, comme l’évocation de Saturnin Farandoul (1879), personnage d’Albert Robida (qu’on ne cesse décidément de redécouvrir) qui comme Tarzan (1912), Rima (1904)  ou Mowgli (1894) grandit dans la jungle, élevé par des bêtes sauvages. Il y a aussi une planche inattendue de Peter Poplaski, auteur über-underground.
On s’amuse entre autres d’une case assez osée (quoique chaste) du journal français Tarzan dans laquelle Jane est complètement nue — case qui fut vite censurée bien entendu.

janeinquiete
Mais pour le reste ? On peut imaginer que le parcours a été mûrement réfléchi et que les connexions (King Kong, la mode, le jouet, les robots, etc.) l’ont été tout autant, mais l’exposition n’en reste pas moins illisible :  pourquoi une vitrine contient-elle de beaux jouets des années 1950 à côté de pelluches récentes qui semblent avoir achetées au supermarché du coin ? Comment peut-on exposer un manteau synthétique imitation léopard avec comme seule légende : « XXe siècle » ? Comment peut-on mélanger sans (trop) prévenir d’authentiques fétiches africains avec des accessoires issus du tournage du dernier Astérix ?
Bien entendu, le rapport entre le vrai et le faux, entre le fantasme colonialiste et la réalité africaine, entre l’antropologie et la science-fiction, tout cela est au cœur du sujet et des diverses représentations de Tarzan depuis un siècle. Mais le rôle d’une exposition de ce genre devrait être de faire apparaître la confusion, pas d’y participer !

tarzan_vuegenerale

J’aurais bien aimé aussi une évocation plus exhaustive des «faux» Tarzan, et notamment des personnages féminins qui ont été inspirés par l’homme-singe (formule pléonastique mais on se comprend). En effet, on voit bien quelques fascicules de Akim ou de Zembla, mais où sont les autres ? Les Ka-Zar, les Rahan, les Sheena, Shanna, Camilla, Jungla, Durga Rani, Jan, Jill et White Princess of the Jungle ? Le sujet pourraît être étendu à d’autres personnages qui vivent dans la jungle sans pour autant être des «sauvages», comme le Fantôme du Bengale ou The Black Panther, qui participent à construire un imaginaire de la jungle comme terrain de liberté. À moins que ça m’ait échappé, tous ces personnages manquent tandis que la gynoïde de Métropolis, Batman ou encore King Kong sont bien présents.
Il aurait pu être possible de parler aussi du culturisme et du naturisme, qui sont précisément contemporains de Tarzan, et plus généralement de toute l’évolution du rapport à la nature entre le XVIIIe et le XXe siècle, de Defoe et Rousseau jusqu’au Bikini et à l’écologie politique en passant par Bernardin de Saint-Pierre et Johanna Spyri. Le sujet est extraordinairement vaste, je comparerais cette exposition à un apéritif agréable mais un peu court : quand arrivent les plats ?

tarzan_divers

Les textes présents dans l’exposition sont sans doute intéressants mais ne donnent pas envie d’être lus, ils sont disposés un peu n’importe où, en lettres capitales grasses sur fond jaune, ce qui est censé évoquer, je suppose, les récitatifs de la bande dessinée. Or faute de lire ces textes attentivement, certains choix dans la sélection des objets montrés semblent au mieux étonnants et au pire, franchement douteux. De nombreux extraits de films sont montrés, mais ils ne sont pas toujours dûment légendés, si bien que l’on ne sait pas ce que l’on voit : quelle année, quel acteur, quel studio, quel réalisateur ?… On ne sait pas toujours ce qui est à voir et ce qui n’est là que pour décorer.
Pour finir, de nombreux objets, notamment des planches originales, n’étaient plus présentes au moment où j’ai visité l’exposition : n’en restaient que les légendes.
Je suis un poil déçu donc, mais j’ai malgré tout ressenti la présence émouvante (mais discrète) du fantôme de Francis Lacassin, décédé il y a un an tout juste. Une soirée hommage au regretté spécialiste des littératures populaires sera d’ailleurs organisée dans le cadre de l’exposition le 10 septembre prochain.

Le musée du Quai Branly

C’est mon tout premier passage au musée du Quai Branly, je l’ai donc visité avant d’aller voir l’exposition Tarzan. Ayant été fortement marqué par le Musée de l’Homme lorsque j’étais enfant, j’apréhendais un peu la visite du Musée des Arts premiers, qui a partiellement dépouillé de ses collections un musée scientifiques (le Musée de l’Homme, donc) et hérité des collections d’un musée colonial (le Musée des arts africains et océaniens) pour en faire un espace orienté vers le grand public5. J’ai été assez agréablement surpris par le résultat. Non seulement c’est un beau musée — on est loin des salles poussiéreuses déprimantes du Musée de l’Homme — mais en plus on reste bien dans le registre du musée scientifique puisque les objets sont bien légendés. On sent bien, en revanche, que seuls les beaux objets sont montrés.
Le nom «arts premiers» montre que l’époque a changé, il ne s’agit plus du triomphe des explorateurs sur fond colonialiste ni d’ethnologie humaniste, mais d’un hommage quelque part assez respectueux à un monde disparu et dans lequel, pour faire bonne mesure, on aurait même pu intégrer des objets d’Europe occidentale.
Un monde d’artisanat, de traditions, de magie et de culte des ancètres.

artsprems1

Il me semble, en faisant appel à mes lointains souvenirs du Musée de l’Homme, que ce dernier mettait nettement plus en avant l’obession de nombreuses cultures dites primitives pour la sexualité : difficile d’alignier les étuis péniens et les sculptures équivoques pour un musée grand public ? Ceci dit, le Musée de l’Homme n’a pas été complètement vidé au profit du musée des Arts premiers, il est même censé ré-ouvrir dans trois ans. Il faut bien qu’il lui reste des choses à montrer.
Je ne suis pas certain d’avoir vu tout ce qu’il y a à voir, il y a des alcôves sombres un peu partout et la circulation n’est pas complètement évidente. L’espace est assez simple et plutôt ouvert mais se révèle malgré tout labyrinthique à l’usage, ce qui n’est pas forcément désagréable.
L’extérieur, avec ses jardins, est assez plaisant malgré sa proximité avec une voie à grande vitesse. L’entrée vaut huit euros cinquante pour les adultes et est gratuite pour les enfants.

  1. «aquí hay una Constitución y unas leyes, y si no quieren reconocerlas que se vayan a vivir en la selva con Tarzán de los monos, donde no hay leyes ni normas ni reglas» []
  2. Rappelons le récent cas de la candidate à la vice-présidence américaine Sarah Palin qui a voulu bannir le livre Tarzan of the apes (mais aussi Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau !) de la bibliothèque de sa ville de Wasilla. []
  3. Afin de ne pas se mettre à dos les ligues morales, le fils de Tarzan et Jane est un enfant adopté dans la série de films avec Johnny Weismuller. Voir aussi mon article sur les règles d’utilisation du personnage de Tarzan édictées par la E.R. Burroughs inc. []
  4. La tribu imaginaire des Waziri vit à proximité de la forêt où Tarzan a grandi. Le nom Tarzan signifie Homme blanc en langue Waziri. []
  5. Les musées dépendant de l’éducation nationale ou de la recherche connaissent tous ce destin depuis quelques temps. La plus triste réalisation dans le domaine étant à mon sens La Grande galerie de zoologie du jardin des plantes, où des dizaines de milliers d’animaux naturalisés ont été jetés à la benne pour ne garder que deux individus de chaque espèce (de chaque espèce bien connue des enfants), dans une parodie d’arche de Noé qui n’est ni pédagogique ni scientifique et qui me semble même relever du révisionnisme scientifique. La problématique n’est certes pas simple : comment éviter de rebuter le public avec un contenu scientifique sans pour autant tirer le musée vers la bêtise ? Dans la séduction, où se situe la frontière entre la dignité et la putasserie ? Si j’avais un taser, je m’en servirais pour empêcher les graphistes et les sponsors privés de s’approcher des musées : quelques soient leurs bonnes intentions, ces gens constituent souvent un grave péril pour les musées scientifiques. Comment ? Un peu radical, moi ?… Hmm… []
  1. 12 Responses to “Tarzan au musée des arts premiers”

  2. By pixeltoo on Sep 3, 2009

    Sympa comme post ;)

    Une émission critique de Daniel Mermet sur le Musée du Quai Branly. Ceci dit très beau musée. Perso je suis fan de la mare du jardin (Gilles Clément) et de la façade végétalisée (Patrick Blanc)

    http://tiny.cc/mqb

    A+

  3. By Jean-no on Sep 4, 2009

    Tiens, je n’ai pas remarqué la mare !
    J’aime beaucoup Patrick Blanc.

  4. By Bobonne L. de Bruxelles on Sep 4, 2009

    Les deux premiers Tarzan avec Johnny Weissmuller sont quasiment des films érotiques et en tout cas très organiques, de vraies aventures au sens propre. Le troisième, à la réalisation à problèmes, a marqué la transition vers une sorte de pré-série télévisée familiale destinée aux enfants le mercredi après-midi. La jupe de Jane s’est ainsi allongée et le spectateur finit par se demander pourquoi elle reste dans la jungle au milieu de nulle part avec son homme-singe même plus sexy. Les six derniers épisodes, où Brenda Joyce remplace Maureen O’Sullivan, sortis pendant la guerre de 40, ont été peu vus en Europe et restent des curiosités série B.

  5. By Jean-no on Sep 4, 2009

    J’ai un grand souvenir de tous ces Tarzan, vus à sept-huit ans, et je crois bien que je les mélange un peu tous. Dans ceux qui sont sans doute les plus niais, j’avais adoré le voyage de Tarzan à New York. Il faut que je revoie tout ça.
    Dans l’expo on apprend que le chimpanzé Cheetah est un personnage inventé pour ces films : comme quoi, il n’y a pas que chez Disney que l’on impose des animaux faire-valoir énervants/amusants aux héros.

  6. By Bobonne L. de Bruxelles on Sep 4, 2009

    J’avais aussi vu les six premiers vers mes dix ans. « Tarzan à New York » était aussi mon préféré jusqu’à ce que le revoie à mes 25 ans. Il s’adresse aux enfants. Le scénario est prévisible et convenu. Les effets spéciaux sont très rudimentaires et le film est court, laissant sur la faim. Quand des années après avoir revu celui-là on revoit les deux premiers on est étonné par l’énorme différence. Un peu comme les premiers « Police Academy » qui étaient une variation dans une école de police du film adolescent pipi-caca à la « Porky’s ». Puis la série des suites est devenue peu à peu un gentil divertissement familial sans intérêt. Où avais-tu vu les six derniers films avec Johnny Weissmuller (qui sont restés inaccessibles jusqu’à l’arrivée du Net) ?

  7. By Jean-no on Sep 4, 2009

    La télévision française passait souvent des Weissmuller quand j’étais petit, mais quand je dis que je les ai tous vus, je pense à ceux avec Maureen O’Hara, et je ne peux absolument pas jurer en avoir vu l’intégralité : j’ai vu ce qui passait, donc, et certainement rien d’inédit. Dans ma tête, Tarzan à New York se confond avec King Kong – évidemment – que j’ai revu dernièrement et qui ma foi, était plutôt réussi.

  8. By Bobonne L. de Bruxelles on Sep 4, 2009

    Nous les avions donc vus au même endroit. Les six épisodes réalisés pour la MGM de 1932 à 1942 étaient diffusés assez régulièrement -tandis que ceux réalisés pour la RKO de 1943 à 1948 n’ont jamais vraiment franchi l’Atlantique. Quant à King Kong, un pur chef d’œuvre vénéré par Daniel Johnston avec qui j’ai eu la chance de regarder ce film, je n’ai jamais vu sa suite qui a mauvaise réputation « The Son of Kong ». J’ai par contre vu au cinéma la suite du remake et j’en garde un souvenir ému. « Tarzan à New York » est très loin du niveau de « King Kong ».

  9. By Jean-no on Sep 4, 2009

    Je ne doute pas qu’il n’y aucun rapport entre les niveaux respectifs de Tarzan à New York et de King Kong.
    J’ai vu deux remakes de King Kong : celui qui se termine sur le World Trade Center, avec Jessica Lange, et le très récent film de Peter Jackson. L’un et l’autre ont leurs qualités. Dans le dernier, qui est une sorte d’hommage au cinéma de la grande dépression, la tribu qui vit sur l’île de King Kong est véritablement effrayante. Les autres effets sont beaux, tout est bien fait, mais c’est un peu lisse. J’ai vu la version des années fin 1970 à sa sortie, mais pas depuis. J’en ai peu de souvenirs et je mélange même ce film avec « l’animal », un Belmondo dans lequel le cascadeur-acteur se déguisait en singe je ne sais pourquoi. Ma grand-mère, qui m’emmenait toujours voir deux films de suite, avait une tendance à choisir des séances liées par le titre ou par l’affiche : les singes pour King Kong et l’Animal ; les guerres pour La guerre des étoiles et la guerre des boutons ; etc. Résultat, certains films resteront indéfiniment liés dans mon esprit.

  10. By Bobonne L. de Bruxelles on Sep 5, 2009

    Comparaison illustrée des dénudés de Jane :

    http://www.leconcombre.com/biblio/filmographie/serials-38.html
    http://www.leconcombre.com/biblio/filmographie/serials-39.html
    http://www.leconcombre.com/biblio/filmographie/serials-40.html

  11. By inegalable vivie on Sep 7, 2009

    Un article redoutablement complet qui va faire pâlir notre cher Hobopok!

    je suis assez d’accord pour te suivre sur ce que tu dis de l’expo Tarzan. Ton niveau d’exigence me semble cependant un tantinet supérieur à celui de la majorité des visiteurs.

    j’ai apprécié le musée pour les mêmes raisons que toi. je pense qu’il vaut le détour par son intention louable de véracité ,et pour le respect de la beauté  » nature » « originelle » de nombreux objets. l’atmosphère obscure permet d’oublier notre culture pour nous immerger dans une sorte d’écrin, que je trouve plutôt respectueux de son propos.

  12. By Jean-no on Sep 7, 2009

    @Vivie : le fait est que je connais déjà un peu Tarzan, et que mon niveau d’exigence en découle : j’aurais aimé apprendre plus de choses, quoi. Mais il est vrai aussi que je suis un gros râleur blasé qui voit trop d’expos :-)

  13. By inegalable vivie on Sep 8, 2009

    Ma foi, te voilà bien vite caricaturé en « espèce fossile à placer au musée » parfois décriée , mais pas forcément désagréable pour tout le monde.
    Pour ce qui est des râleurs » , j’en connais d’autres qui n’ont rien à dire, sans pour autant s’en priver.
    J’apprends toujours pas mal en te lisant de temps à autre -sur les conseils de notre Hobopok préféré, bien sûr.

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